Haruto regrette aussitôt de s'être montré si ouvert. Aurait-il préféré que Eric le soupçonne être celui qui fait soudainement battre son coeur? Sans doute. Ça aurait été plus simple mais également peu plausible. Qui tombe amoureux aussi rapidement? Maintenant, il allait devoir inventer une histoire au risque de créer un malentendu qui lui mettra plus de bâtons dans les roues. Une idée lui vient soudainement en tête. Pourquoi ne pas en profiter pour tâter le terrain et valider l'ouverture de Eric?
En fait...
Soudainement nerveux, il glisse une main dans ses cheveux avant de prétendre fixer quelque chose sur son appareil, incapable de regarder Eric. Il craignait de voir l'expression de son visage changer, qu'il soit déçu, voir dégoûté. Le problème c'est qu'il ne s'agit pas d'une fille...
Au Japon, on assumait généralement l'hétérosexualité des gens, Haru en savait quelque chose. Même si ses parents se doutaient de son orientation, c'était un fait qu'il gardait pour lui comme un secret qui ne devait jamais être révélé au grand jour.
À peine a-t-il terminé de marmonner sa réponse que Eric le fait sursauter en s'exclamant et en pointant une silhouette perchée dans un arbre près d'eux. Haruto passe de la honte à la surprise et à la peur, ce qui accentue sa réaction alors qu'il saute à nouveau vers Eric, l'utilisant comme un bouclier humain pour une potentielle attaque qui n'est qu'une illusion de sa part.
Ne t'approche pas!
Comme pour inciter Eric à l'écouter, il aggripe le bas de son t-shirt et s'accroupit au sol, tentant d'aggrandir la distance entre lui et le singe.
Mon regard se pose sur le singe au moment où Haru commence à me parler de ses histoires de cœur et bien que ça m’intéresse, mon cerveau se focalise immédiatement sur l’animal perché dans l’arbre. S’en suit une exclamation de ma part, partagé entre excitation, fascination et joie. J’aimerais m’approcher de lui et prendre une photo. Puisqu’Haru voulait me photographier, ce sera l’occasion, non ? Sauf que tout ne se passe pas comme je l’aurais cru. En effet, au lieu d’être aussi enthousiasme que moi, Haru panique littéralement avant de se cacher derrière moi. Stupéfait, je ne réagis pas immédiatement, me contentant de jeter un coup d’œil derrière moi pour le regarder. « Haru ? » Réalisant enfin la situation, je me tourne franchement vers lui avant de me pencher pour tenter de le rassurer. « Ne t’en fait pas, il est sur l’arbre. Il ne viendra pas vers nous. » Ma voix se veut douce mais j’ignore s’il est réellement capable de m’entendre. Vu l’état dans lequel il est, mieux vaut que je l’éloigne d’ici. « Mais on va s’en aller. Ok ? » Tant pis pour les singes, je reviendrais les voir un autre jour. Pour le moment il vaut mieux mettre de la distance entre les animaux et Haru. D’ailleurs je ne tarde pas à prendre sa main, celle qui serre mon t-shirt pour l’attirer plus loin. « On va aller boire un café. Je suis sûr que ça te fera du bien. Et puis tu me parleras de la personne pour qui tu as un crush ok ? » C’était ce dont nous parlions avant que je n’attire son attention sur le singe, bien que je sois incapable de me souvenir de ce qu’il était en train de me dire à ce moment-là.
Haruto aurait préféré être capable de contrôler ses réactions et éviter l'humiliation face au jeune homme qui lui plaisait. Bon, il lui plaisait depuis moins de cinq mimutes mais ça ne lui était arrivé qu'une seule fois par le passé et il craignait que ses chances, qu'il jugeait déjà être de zéro, soient encore moindre. Accroupillé aux pieds de Eric dont il tient le haut du vêtement comme si ça lui permettait d'être protégé des singes, Haru soupire de honte en l'entendant prononcer son prénom comme une question. Comme s'il ne comprenait pas sa réaction. Avec raison d'ailleurs. Quel homme avait peur d'un animal si innoffensif?
Finalement, l'australien se penche et essaie de le rassurer, ce qui n'a pour effet que de faire craquer davantage Haru pour lui qui lui aurait pourtant donné toutes les raisons du monde de se moquer. Son image venait de prendre un coup dur et encore, Eric n'avait pas encore eu la malchance de constater que pire que les singes, ce qui effrait réellement le japonais, ce sont les lieux publics remplis de gens.
Il acquiesce plusieurs fois en entendant les mots de Eric qui tente toujours de le rassurer avant de proposer de partir. Haru s'en veut de lui faire avorter son activité mais il n'y pense pas plus longtemps, fixant son regard sur la main de l'autre jeune homme qui prend la sienne pour l'entraîner plus loin. Elle est beaucoup plus petite que la sienne et pourtant, elle parvient à le rassurer.
Oui d'accord.
Il ne réalise évidemment pas qu'il accepte non seulement un premier rendez-vous avec Eric, mais également de lui en dire plus sur son crush qui est nul autre que lui. Une fois un peu plus loin, Haruto s'arrête et referme sa main libre sur celle de l'autre jeune homme, attendant qu'il se retourne vers lui pour ajouter:
Laisse moi t'inviter, comme je l'ai mentionné plus tôt. Je connais un endroit tranquille, je peux apeller mon chauffeur.
Comme pour inciter Eric à l'écouter, il aggripe le bas de son t-shirt et s'accroupit au sol, tentant d'aggrandir la distance entre lui et le singe.
Je ne pensais pas que voir des singes en chair et en os provoquerait chez lui une telle terreur et je crois que le mot est juste. Si je pouvais, je continuerais la visite mais ça ne serait pas juste pour lui. Bien sûr, on vient à peine de se rencontrer et je ne lui dois rien mais n’est-ce pas comme ça qu’est sensé fonctionner une amitié ? Par des concessions et une acceptation de ce qu’est l’autre ? C’est aussi vrai pour les relations amoureuses mais ça, c’est une autre histoire.
Par chance, il retrouve suffisamment ses esprits pour me répondre mais aussi pour me laisser l’entrainer loin des singes que je pourrais toujours revenir voir un autre jour. Après tout j’ai l’avantage d’être maitre de mon emploi du temps alors je pourrais me le permettre. Alors que je suis perdu dans mes pensées, Haruto s’arrête et me fait une bien étrange proposition. « Ton chauffeur ? » Il est si riche que ça ? Sur le moment, je ne sais pas quoi répondre et il s’écoule plusieurs secondes avant que je ne lui dise : « Où veux-tu m’emmener ? C’est si loin que ça pour que nous ayons besoin de ton chauffeur ? » Et parce que je ne veux pas qu’il pense que je cherche à lui dire non, je lui adresse un sourire avant de reprendre : « Si c’est dans le coin, on peut peut-être y aller à pied ou en prenant les transports en commun, non ? » Forcément, il a attisé ma curiosité.
Haruto n'avait pas envie que Eric ait une mauvaise opinion de lui en le prenant pour un froussard mais c'était malheureusement le cas avec à peu près tous les êtres vivants. Il n'aimait pas l'imprévisibilité des humains etl es singes étaient ce qui s'en rapprochait le plus. En groupe, ils étaient insupportables. Il vaut pourtant mieux pour lui de s'en éloigner, même si ça signifie perdre toutes ses chances, sans doute déjà inexistantes de toute façon, avec l'autre jeune homme. Ce dernier l'entraîne un peu plus loin et Haruto retrouve une certaine contenance, en profitant pour mettre son invitation à exécution. Eric semble mal comprendre ses paroles cependant alors il répète :
Oui, mon chauffeur. On pourrait sans doute marcher mais ce serait très long...
Il réalise que l'australien doit réellement aimé marcher pour se montrer si réticent à l'idée de se faire conduire. Pourtant il mentionne les transport en commun alors que ça n'a rien de logique vu les circonstances. Haruto fronce légèrement les sourcils, en secouant la tête.
À pied ça nous prendrait plus de deux heures et les transports en commun... C'est inutile puisque mon chauffeur doit m'attendre à l'entrée de la forêt.
Mais surtout, il était hors de question pour lui de mettre le pied dans un bus. Trop de gens, trop peu d'espace, il ne pourrait jamais tolérer se retrouver dans cette situation. Il fait signe à Eric de le suivre.
Tu verras, la voiture est plus agréable que le bus.
Je n’insiste pas plus car Haru semble avoir réponse à tout et puisque son chauffeur l’attend déjà, ça serait bête de ne pas utiliser sa voiture. Alors je lui souris et acquiesce en lui disant : « Ok, faisons ça alors. Prenons ton chauffeur mais il va falloir que tu me dises où on va, surtout si c’est loin d’ici. » Je ne suis pas particulièrement inquiet, juste curieux et intrigué à la fois par notre destination mais aussi pour mon nouvel ami qui n’est pas ordinaire. « Le bus a quand même quelque chose d’agréable pour un touriste comme moi. » Même si je ne suis pas tout à fait un touriste puisque je me suis installé en ville il y a plusieurs mois et que je compte y rester encore un bout de temps. « Je peux comme ça découvrir de nouveau coin et apprécier le paysage mais y aller avec ta voiture ne me dérange pas. » D’ailleurs depuis que je suis au Japon, je n’ai pas touché une seule fois un volant. Je n’en ai pas besoin, je trouve tout à proximité et facilement. En plus j’ai vraiment envie de profiter de chacune de mes sorties, même pour des trajets ordinaires. « En tout cas, avoir un chauffeur, ce n’est pas ordinaire. Tes parents sont des gens importants ? » Et donc riches ? Même si c’est un peu déplacé comme question, je me dis que Haru se montrera vague si ça le gêne vraiment d’en parler. Et puis ça me permettra de mieux le cerner.
Eric serait-il inquiet à son sujet? Peut-être qu'il le trouve louche. Cette perspective assombrit légèrement le regard de Haru qui se contente de secouer la tête et d'échapper un simple:
Non ce n'est pas si loin.
D'ailleurs, du peu qu'il connait du jeune homme, il se doute que ce dernier aurait sans doute été capable de s'y rendre en marchant mais hors de questions pour Haruto. Il esquisse un léger sourire lorsque Eric mentionne à nouveau le bus et son avantage.
Tu peux aussi regarder par la fenêtre de la voiture. Mon chauffeur peut même faire quelques détours si tu veux...
À première vue, sa remarque peut sembler ironique, comme s'il se moquait gentiment de l'australien alors que ce n'était pas le cas. Haru espérait seulement le rendre plus confortable et lui faire apprécier son moment avec lui. C'est ainsi qu'on séduit, non? Il se mord la lèvre inférieure lorsque Eric le questionne sur ses parents. Il n'avait pas eu à révéler ces informations très souvent parce qu'il rencontrait peu de gens qui n'étaient pas déjà des connaissances de ses parents et qui donc, connaissaient déjà l'histoire de la famille de Haru.
Je ne sais pas s'ils sont importants... Mon père est un homme d'affaires reconnus et ma mère est une artiste avec un certain succès.
Enfin, ils arrivent à la sortie de la forêt et Haruto aperçoit la voiture avec son chauffeur qui l'attend patiemment en discutant au téléphone. Ce dernier semble surpris de voir le garçon accompagné, lui qui est toujours seul.
Nakamura-San, vous pouvez nous conduire au café près de Arashiyama? Celui qui n'est pas très occupé.
Il sourit poliment avant d'ouvrir la portière arrière et faire signe à Eric de s'installer.
Je lui fais un non de la tête lorsqu’il me dit que son chauffeur peut faire plusieurs détours pour que je puisse admirer le paysage : « Qu’il ne prenne pas cette peine et allons directement là où tu veux m’emmener. » D’ailleurs je ne connais toujours pas notre destination, mais je lui fais confiance. Haru n’a pas l’air d’un détraqué. Il a tout du gentil garçon à qui on peut se fier et j’ai de la chance d’être tomber sur lui. Je suis certain que nous pourrons facilement nous lier d’amitié. Du moins je l’espèce car j’en manque cruellement ici.
Quand je le questionne sur ses parents, Haru me parle un peu d’eux et j’apprends ainsi que sa mère est aussi artiste. Aussitôt je lui lance : « Alors tu dois tenir d’elle. » Après tout, c’est aussi ce qu’il est non ? Un artiste. « J’aimerais bien voir ce qu’elle fait et voir si c’est différent de ce que toi tu créais. » Je ne suis pas un passionné d’art mais je suis curieux. Suffisamment pour avoir envie d’en savoir ou d’en voir plus. D’ailleurs en quittant la forêt, je lance un dernier regard derrière moi, un peu triste de m’en aller si vite mais ce n’est pas grave, je reviendrais une autre fois. La forêt et ses singes ne sont pas près de bouger. Quant à Haru, qui sait quand nous pourrons nous revoir ? Alors autant profiter du moment présent.
Une fois près de la voiture d’Haru, j’observe un instant le véhicule et son chauffeur avant de monter à l’arrière à l’invitation de mon nouvel ami. J’y entre en toute confiance et après m’être installé confortablement je lui demande : « Tu vas souvent dans ce café ? » Celui qu’il a indiqué à son chauffeur. Je me demande si c’est un café ordinaire ou si au contraire il dénote des autres. Il faut dire qu’au Japon, il y a des choses tellement étonnantes ! Et je suis loin d’avoir tout vu. D’ailleurs je m’émerveille pour un rien mais c’est aussi parce que j’ai décidé de profiter de chaque instant que je passerais ici.
Alors que la voiture prend la direction de ce fameux café où Haru veut m’emmener, je pose ma main sur la sienne et lui demande avec une pointe d’inquiétude : « Au fait, ça va mieux ? » Et je fais référence à la peur panique qu’il a eu en voyant les singes tout à l’heure mais comme j’ignore à quel point il est sensible sur le sujet, j’évite de les nommer directement.
Haru affiche une moue de déception lorsque Eric refuse son idée. Il espérait lui faire plaisir mais apparemment, ce n'était pas nécessaire. Le chauffeur prend donc la direction du café, connaissant les quelques endroits que le japonais fréquentait à l'occasion et qui étaient, de toute façon, très peu nombreux. Il retrouve finalement son sourire lorsque l'autre jeune homme mentionne son intérêt pour l'art de sa mère. Ce serait l'excuse parfaite pour le revoir. D'ailleurs, il ne tarde pas à sortir son téléphone et le tendre à Eric.
Bien sûr, je pourrais te faire visiter sa galerie. Tu peux entrer ton numéro, ce sera plus simple pour te contacter.
Son sourire se veut innocent pour éviter que son invité ne se fasse des idées sur ses intentions même si celles-ci seraient sans doute très près de la vérité. La voiture se met en route et Eric observe le paysage à l'occasion alors que Haru, lui, observe le jeune homme à ses côtés avec un plus grand intérêt que ce qui se trouve derrière la fenêtre. Ce dernier le fait sursauter en poser sa main sur la sienne et le japonais ressent aussitôt une immense vague de chaleur l'envahir.
M-mieux...?
Il se demande à quoi Eric fait référence, ses yeux fixant sa main sur la sienne. C'est à ce moment qu'il se rapelle sa réaction face au singe et il échappe un rire nerveux en secouant la tête,
Oui t'en fais pas. Je... J'ai simplement déjà été témoin d'attaques de ces créatures, elles peuvent parfois se montrer très... Violentes.
Bon il ne les a vu que sur des vidéos mais ça lui suffisait pour le convaincre de ne pas s'en approcher. Il ne fait aucun geste pour retirer sa main, espérant plutôt pourvoir prolonger ce contact le plus longtemps possible. Au bout de quelques minutes, la voiture s'arrête devant un petit établissement et le chauffeur leur annonce être arrivé à destination. Haru quitte la voiture et fait signe à Eric de le suivre à l'intérieur du café. Il est presque vide à l'exception de deux clients, un couple d'une trentaine d'années, qui se trouvait dans un coin. Il leur lance un regard furtif alors qu'une vieille dame, la propriétaire des lieux, reconnaît Haru et le guide vers un table tout au fond, sachant que le jeune homme n'avait jamais aimé les foules qui, dans ses critères, correspondaient à deux personnes ou plus. Elle était toujours charmante avec Haru qui fréquentait ce lieu avec sa mère depuis qu'il était tout petit.
C'est pas très impressionnant comme endroit mais tout ce qu'ils servent est délicieux. Que ce soit à manger ou simplement à boire.
Je prends son téléphone lorsqu’il me le tend et y entre mon numéro avant de faire sonner mon portable pour pouvoir y enregistrer le sien. Comme ça, ce sera plus pratique pour nous de nous recontacter et de ne pas se perdre de vu. Après tout, Kyoto est une grande ville et la probabilité pour qu’on s’y croise à nouveau de manière fortuite est quasi-nulle. Et puis j’ai envie qu’il m’emmène visiter la galerie de sa mère. Je suis sûr que ça serait intéressant. En plus ça sera une occasion de nous revoir et d’apprendre à mieux nous connaitre.
Haru me rassure ensuite sur son état. Apparemment la frayeur que lui ont causé les singes se sont dissipées et après avoir écouté ses explications, je comprends mieux sa réaction : « Je comprends ne t’en fais pas. La prochaine fois, n’hésite pas à me le dire si quelque chose t’incommode. » Quant à moi, j’y retournerais seul plus tard. De toute façon c’était une sortie que je m’étais programmé en solo, faute d’avoir des proches avec qui partager ce genre de moment. Mais qui sait ? Si le courant passe bien entre nous, Haru acceptera peut-être de me suivre dans mes prochaines escapades ?
La voiture s’immobilise et je suis Haru jusque dans ce fameux café où il voulait m’emmener. L’endroit à l’air calme et paisible. Je me dis ça doit être son genre. Dans un sens, ça m’en apprend un peu sur mon nouvel ami. Sans rien dire, je le laisse me guider et une fois installé, je souris à ses paroles avant de lui dire : « Il va falloir que je revienne alors, pour pouvoir goûter tout ce qu’ils ont dans leur carte. » Je la prends justement et la parcourt des yeux. « J’ai envie d’un café frappé et d’un truc à manger… » Mais je ne sais pas encore quoi… « En tout cas, c’est l’endroit idéale pour un premier rendez-vous. » Je suis sûr que c’est ici qu’il emmènerait son ou sa crush. Je trouve ça mignon et romantique, même si je me garde bien d’en faire la remarque pour ne pas l’embarrasser. « Du coup tu as pris ta journée ? Comment ça se passe ton travail d’artiste ? Tu exposes déjà ? » Ce n’est pas très concret pour moi mais ça m’intéresse. Il faut dire que je suis d’une nature curieuse.
Haru regarde longuement son téléphone une fois le numéro de Eric enregistré, un sourire ravi sur les lèvres. Il ignore si le jeune homme serait du genre à le contacter le premier mais une chose était sûre, le japonais n'hésiterais pas à le faire, lui qui détestait pourtant toutes formes de moyens de communication. Ce numéro était particulièrement précieux.
Il sent son coeur battre un peu plus rapidement lorsqu'Eric mentionne une prochaine fois, ce qui signifie clairement qu'il a bel et bien envie de le revoir. Haru acquiesce avec un peu trop d'entrain murmurant un simple:
Promis.
Enfin, la voiture s'arrête devant le petit immeuble dans lequel se trouve le café et, une fois installés à leur table. Haru pose ses coudes sur la tables, observant Eric jeter un coup d'oeil à la carte. Pour sa part, il connait le menu par coeur et la femme n'a même pas besoin de lui demander ce qu'il veut. Chaque fois, Haru commande la même chose; un mocha et un carré au chocolat, une quantité de sucre qu'aucun être humain normal ne pourrait supporter.
Je te conseille les desserts.
Il sourit et sent soudainement ses joues s'enflammer lorsque Eric mentionne qu'il s'agit de l'endroit parfait pour un premier rendez-vous. Alors il voyait réellement ce tête à tête comme un rendez-vous?
Ah je... Je suis ravi que l'endroit te plaise.
Il glisse une main dans ses cheveux, embarrassé, avant de sauter sur les questions de Eric pour changer le sujet de conversation.
Je travaille quand je me sens inspiré donc c'est imprévisible... Je n'expose pas officiellement mais ma mère possède une gallerie et je peux y présenter une oeuvre de temps en temps. Vraiment, je ne suis qu'un débutant.
Il aurait préféré pouvoir l'impressionner avec sa renommée mais malheureusement, il vivait encore dans l'ombre de sa mère.
Et toi? J'imagine que tu doit travailler beaucoup...
Les métiers artistiques comme celui qu’Haru sont un peu mystérieux pour moi. Je me demande comment ils occupent leur temps et comment ils arrivent à gagner leur vie même si dans le cas de mon nouvel ami, je me dis que l’argent ne doit pas être un problème. Après tout, s’il est assez riche pour avoir un chauffeur, il ne doit pas connaitre la pression que peut représenter la vente d’une toile. Quoique, je me trompe peut-être… Au-delà du besoin de gagner de l’argent à travers la vente, il y a peut-être un enjeu de reconnaissance du travail accomplis. Bref, nous naviguons vraiment dans deux mondes complètement différents, au point que j’en viens à me dire que si ça n’avait pas été par hasard, nous ne nous serions peut-être jamais rencontrés.
Quand il me retourne ma question, je n’ai pas le temps d’y répondre qu’une serveuse s’approche pour prendre notre commande. Nous la renseignons à ce sujet puis une fois à nouveau seuls, je lui réponds : « Comme je suis en freelance, je suis maitre de mon emploi du temps. Parfois j’aime travailler la nuit mais ce n’est pas une règle. J’aménage surtout mon temps en fonction des contrats et de la quantité de travail que j’ai mais aussi en prenant compte de mes envies, un peu comme aujourd’hui où je me suis offert un moment off et on dirait que j’ai bien fait parce que sinon on ne se serait pas rencontré. Je ne connais pas encore grand monde ici. Quand on est étranger et qu’on n’est pas étudiant, c’est plus difficile de se faire des amis ou de rencontrer des gens. » C’est en tout cas l’impression que j’ai depuis que je me suis installé au Japon. Ma sœur n’a pas ce problème puisqu’elle fréquente ses camarades de classe. Pour moi qui travaille déjà, c’est différent et comme mon emploi est plutôt solitaire, ça ne m’aide pas à rencontrer des gens. « Mais si tu as du temps, on pourrait s’organiser une autre sortie. Tu pourrais me montrer d’autres endroits que tu aimes. » Il y a tellement de chose à voir dans cette ville et je n’ai pas encore eu le temps de tous les faire.
Haru n'avait encore jamais vendu de toile. Ce n'est pas qu'elles n'intéressaient personne mais il était encore un amateur dont les oeuvres n'avaient aucune réelles valeurs si ce n'était que de provenir du fils d'une artiste connue. Il aimerait, un jour, qu'elles soient reconnues pour autre chose mais ça, seul le temps et les efforts l'aideront à atteindre ce but. Pour l'instant, il peut profiter de la richesse de ses parents sans le stress de ne pas avoir les moyens financiers pour survivre. Évidemment, son père le menace toujours de lui couper les vives pour l'obliger à se débrouiller seul mais sa mère arrive toujours à le convaincre de se montrer plus patient et conciliant.
Après avoir commandé, Eric répond à sa question et Haru l'écoute, les coudes posés sur la table et le regard fixé sur ses lèvres. Il acquiesce par moment, plus fasciné par son visage que ses paroles. Il se concentre néanmoins sur la fin et hausse les sourcils, y voyant une lueur d'espoir.
Alors tu ne connais pas beaucoup de japonais?
L'australien lui propose alors d'organiser une autre sortie et Haru sent son corps frémir d'anticipation et de plaisir. Il voulait un second rendez-vous alors que le premier venait tout juste de commencer. C'était bon signe. Emballé, il sourit et s'exclame:
Bien sûr ! Je ne sors pas beaucoup en général mais je suis sûr que je pourrais te montrer quelques endroits sympas.
Je lui réponds en lui faisant un non de la tête avant d’ajouter : « J’ai bien quelques connaissances mais ce ne sont pas des gens que je peux fréquenter de manière personnel et intime. » Je ne sais pas si les mots que je choisis sont adaptés. Mon japonais laisse encore parfois à désirer sur certaines expressions ou certaines nuances dans ce que je veux parfois dire. « Bref, on n’est pas proches. » Ce sont soit des connaissances liées à mon travail, soit des gens que j’ai rencontré en sortant prendre un verre mais ça ne va en général pas plus loin. Et puis je me vois mal m’imposer dans le cercle d’ami de ma sœur. Du coup je suis content quand Haru accepte qu’on s’organise une sortie. S’il me montre des endroits qui lui plaisent, il n’y aura pas de risque d’incident comme avec les singes. D’ailleurs je pense que c’est un souvenir dont on rira plus tard, en attendant y penser me fait sourire, même si je me garde bien d’en parler pour ne pas l’embarrasser. « Parfait ! Alors tu me diras quand tu seras libre et je m’arrangerais pour l’être également. » Comme nos commandes arrivent, je n’ajoute rien d’autre pour reporter mon attention sur ce que je vais manger et boire. Lorsque la serveuse s’en va, je m’adresse à nouveau à Haru en lui disant : « En tout cas ça a l’air bon. » Et ça l’est ! Ce qui élargit un peu plus mon sourire avant que je ne lui demande : « Tu as déjà une idée de ce qu’on pourrait faire la prochaine fois ? » Je vais peut-être un peu vite en besogne et s’il n’en a pas ce n’est pas grave. Nous avons du temps devant nous. « Au fait, la galerie de ta mère est loin d’ici ? » Parce qu’une fois qu’on aura fini de manger, on pourrait y faire un saut. Ça me permettra de voir ce qu’ils font tous les deux et de découvrir un peu plus l’univers de mon nouvel ami.
Haru l'écoute avec intention, essayant de ne pas se montrer emballé lorsqu'il mentionne n'avoir aucune fréquentation personelle ou intime. Eric lui envoyait tellement de signaux, il fallait être aveugle pour ne pas les voir. Évidemment, il ne se dit pas un seul instant que la signification n'est peut-être pas adaptée dû au fait que le japonais n'est pas sa langue maternelle. De toute façon, Haru voulait bien croire ce qui l'arrangeait et il avait l'espoirr de pouvoir occuper une place importante dans la vie du jeune homme.
Je vois... Je... Je peux être cette personne personnelle et intime.
Il sourit, posant ses mains sur ses cuisses d'un geste nerveux en ignorant quoi faire avec elles. Il avait envie de prendre celles de Eric mais c'était sans doute très innaproprié, surtout dans un lieu public. C'est encore plus difficile de se retenir lorsque l'australien accepte son invitation. Haru devra certainement faire des recherches pour l'impressionner et le garder intéressé en choisissant les meilleurs endroits puisque lui-même ne mettait pas souvent les pieds dehors.
Enfin, leurs commandes arrivent mais Haru sent son estomac se nouer, sans doute à cause de la nervosité. Il a du mal à se concentrer sur la nourriture et n'a d'yeux que pour Eric, fixant ses lèvres chaque fois qu'il prend une bouchée ou une gorgée. Il en oubli presque sa question qui le ramène brusquement dans la réalité.
Ah euh la prochaine fois... Je pourrais te faire visiter... Laisses moi réfléchir!
Il pourrait lui faire visiter de nombreux temples, des quartiers historiques, etc, mais ils sont si touristiques que Haru craignait ne pas être capable de se montrer sous son meilleur jour. Heureux que la conversation dévie vers la gallerie de sa mère, un lieu qu'il connait bien et considère safe, il avoue inconsciemment:
Non elle est tout près, je ne m'éloigne jamais beaucoup. Tu veux la voir?
Nos commandes sont là et Haru n’exagérait pas. Tout à l’air délicieux et je ne regrette pas de l’avoir suivi jusqu’ici. De toute façon j’aurais d’autres occasions de voir les singes en libertés. En revanche, me faire un nouvel ami, c’est une occasion à côté de laquelle je ne peux pas me permettre de passer. D’autant plus qu’on s’entend bien pour le moment. Il a l’air gentil et pas difficile à vivre. Alors j’imagine qu’on pourrait se revoir assez souvent, même si j’avoue que je le bouscule un peu en parlant de notre prochaine rencontre. Je vais peut-être trop vite. Après tout, nous avons du temps devant nous avant de choisir nos prochaines activités. D’ailleurs j’ai l’impression de le tirer de l’embarra lorsque j’évoque la galerie de sa mère. Immédiatement je vois l’expression de son visage s’illuminer. « Oui j’aimerais beaucoup la voir. On peut y aller après avoir terminé nos collations ? » Ce sera l’occasion pour moi de découvrir un peu son univers et de prolonger le moment avant de devoir rentrer. Après tout, je ne vais pas le monopoliser indéfiniment et j’ai moi-même du travail qui m’attend à la maison. Je pourrais bien sûr le remettre à plus tard mais j’aime l’avancer petit à petit pour ne pas me retrouver débordé. « On peut y aller à pied ? » Ce n’est pas que je n’aime pas qu’on utilise sa voiture avec chauffeur mais je préfère les longues balades. C’est plus intime et agréable. « D’ailleurs tu me diras lesquels sont de toi. » Je parle bien entendu des tableaux puisqu’il me semble qu’il m’ait dit qu’il lui arrivait d’exposer dans la galerie de sa mère. Je me demande ce qu’il peut bien peindre. Je me dis qu’en les voyant, j’en apprendrais un peu plus sur lui.
Haru était particulièrement emballé par l'intérêt de Eric envers la gallerie de sa mère. C'était l'excuse parfaite pour passer plus de temps avec lui. D'ailleurs, ce dernier semblait aussi vouloir passer plus de temps avec lui, mentionnant même la possibilité d'un second rendez-vous. Ce n'était pas tous les jours que Haruto rencontrait quelqu'un qui lui plaisait et pour lequel ça semblait être réciproque. Il s'emballait déjà face à la perspective de pouvoir passer tout son temps libre avec l'australien et développer une proximité qu'il n'avait jamais eu la chance de connaître auparavant.
Avec plaisir!
Il répond un peu trop brusquement et se râcle la gorge dans un effort ultime de se calmer un minimum. Eric lui demande alors s'ils peuvent s'y rendre à pied, à croire qu'il détestait prendre la voiture. C'est vrai que la galerie n'était pas très loin, signe que Haru demeurait toujours dans un périmètre très restreint. Elle n'était qu'à une dizaine de minutes mais marcher impliquait croisait beaucoup d'inconnus et ne pas savoir sur quoi on pouvait tomber... Il hésite mais lui dit finalement, à contrecoeur:
Oui bien sûr, c'est pas très loin.
Il force un sourire sur son visage, essayant plutôt de se concentrer sur la perspective qu'il pourrait ainsi passer plus de temps avec Eric. Il termine de manger de boire sa boisson, se laissant souvent distraire par le jeune homme face à lui qu'il observe plus que la politesse ne le voudrait.
Tu as terminé? C'est moi qui t'invite.
Il fait signe à la serveuse qui revient pour lui permettre de régler l'addition.
J’ai encore du mal à cerner Haruto. Il est tantôt enthousiaste, tantôt réservé. J’imagine qu’avec le temps, j’apprendrais à mieux décrypter ses émotions, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas. Ou encore quand il se force, un peu comme avec les singes. Décidément, je crois que je ne pourrais jamais oublier cette anecdote, dont le souvenir me fera toujours sourire même si je veille à ne pas l’évoquer avec Haruto pour ne pas le vexer.
Nous terminons notre collation puis nous quittons ce café dont je tâcherais de retenir l’adresse. Au passage je remercie Haruto pour l’addition. « Je reviendrais ici à l’occasion et je te préviendrais quand ça arrivera, comme ça tu pourras m’y rejoindre si tu as le temps et cette fois-ci c’est moi qui t’inviterais. » Après tout, c’est toujours agréable de prendre une tasse de thé ou de café avec quelqu’un qu’on apprécie. Une fois dans la rue, je le laisse me guider jusqu’à la galerie de sa mère, curieux de découvrir cet endroit que mon nouvel ami semble beaucoup aimer et dans lequel il lui arrive d’exposer. D’ailleurs je me demande le genre de peinture qu’il réalise mais normalement ma curiosité devrait rapidement être satisfaite. « Je ne me souviens plus si tu me l’as dit. Je pourrais y voir quelques-unes de tes toiles ? D’ailleurs où est-ce que tu peints ? Chez toi ? Dans un atelier ? » J’avoue que j’aimerais beaucoup le voir travailler même si j’imagine que tous les artistes n’apprécient pas d’avoir des spectateurs.
Une fois l'addition réglée, Eric mentionne vouloir revenir et inviter Haruto à le rejoindre. Ce dernier sent son coeur battre plus rapidement à l'idée de pouvoir passer plus de temps avec l'autre jeune homme, du temps qu'il n'aura pas à initier lui-même. Alors qu'ils commencent à marcher en direction de la galerie, l'australien se permet de lui poser quelques questions sur son art. Un peu embarrassé, Haru glisse une main dans ses cheveux.
Oui il y en a une ou deux mais c'est rien de... Rien d'impressionnant.
Il n'a pas le temps de répondre à la question suivante concernant son atelier puisqu'un groupe de lycéens, environ une dizaine, marchent vers eux en se chamaillant et en parlant très fort sans se soucier d'eux. Haru sent à nouveau son coeur battre plus rapidement, mais pour une raison différente cette fois. Il n'a jamais aimé les foules, même les petites, ce pourquoi il évitait les lieux publics, même pour marcher une courte distance. Sentant la panique l'envahir, il semble incapable de bouger et s'immobilise, plaçant ses mains sur sa tête par désarroi. Il doit offrir un drôle de spectacle puisque certains lycéens le regarde et se moque en le poussant légèrement, plus par amusement que méchanceté. Haruto est incapable de relever les yeux vers Eric, redoutant le jugement dans le regard de ce dernier. Il devait se demander sur quel type d'énergumène il était tombé, un pauvre incapable qui ne parvenait pas à effectuer une distance de cent mètres sans paniquer devant des singes ou un groupe de lycéens.
J’ai vraiment hâte d’arriver à la galerie de sa mère. C’est la première fois que je rencontre de vrais artistes alors ça me rend curieux et enthousiaste, si bien que je n’arrête pas de lui poser des questions. D’ailleurs je ne prête pas attention à ce qui nous entoure, ni aux gens que nous rencontrons. Pour moi, ce groupe lycéens passe complètement inaperçu. D’ailleurs je les croise sans vraiment m’en rendre compte ni les voir. Je ne m’arrête qu’en réalisant que Haru n’est plus à mes côtés, il n’a d’ailleurs pas répondu à ma dernière question. Surpris, je me retourne et découvre avec surprise sa posture. Les lycéens le bousculent un peu sur leur passage mais rien de bien grave, du moins je le suppose même si tout chez lui m’inquiète un peu. « Haru ? » Je m’approche de lui, posant une main sur son épaule avant de lui demander : « Est-ce que tout va bien ? Tu as mal quelque part ? Tu ne te sens pas bien ? » On dirait qu’il réagit un peu comme avec les singes. Pourtant il n’y en a pas ici et ce n’est quand même pas les lycéens qui l’ont mis dans cet état ? Je n’ai pas assisté à toute la scène, mais je n’ai pas l’impression qu’ils aient fait grand-chose. Ils l’ont peut-être un peu bousculé. Est-ce que ça a suffit à le mettre dans cet état ?
Après avoir hésité un instant, je lui prends la main et le tire un peu à l’écart. Si on reste au milieu du chemin, on risque de gêner d’autres passants.
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