Haru avait l'habitude de se prendre des remarques désobligeantes de son père. À son âge, il devrait être capable de sortir seul, il devrait faire des études supérieures - puisque sa famille peut très bien se le permettre - et même sortir avec des amis, profiter de sa jeunesse. Mais le jeune homme détestait les foules, il préférait rester chez lui, sous ses couvertures, sans avoir à mettre le nez dans un seul livre. Sa mère était beaucoup plus laxiste puisque c'est elle qui l'avait surprotégé toute sa vie. Elle devait s'en vouloir à présent parce qu'elle l'encourageait à sortir, ne serait-ce que pour aller chercher de l'inspiration pour ses prochaines toiles. Sortir de la ville lui ferait du bien, de nombreuses forêts de bambous se trouvaient dans l'ouest de Kyoto et les contrastes de couleurs, en fin d'après-midi, était impressionnant, à ce qu'on racontait. Haruto avait bien tenté de convaincre sa mère de l'accompagner mais, pour son bien, elle avait refusé. Elle s'est contenté de lui préparé des vêtements adéquats, un sac avec un peu de nourriture et de l'eau, juste au cas ainsi que quelques objets qui pourraient lui être utiles au besoin. Haru s'était contenté de la regarder effectuer les préparatifs avec une grimace jusqu'à ce qu'elle le pousse à la porte où le chauffeur l'attendait pour le déposer à l'endroit prévu. Il n'y avait aucun danger, le sentier était fréquenté par de nombreux touristes.
Une fois arrivé au lieu, le jeune homme se traîne les pieds hors de la voiture, glissant son sac - qu'il trouve déjà beaucoup trop lourd - sur ses épaules. Il doit cependant avouer, après quelques minutes de marche, que le paysage est impressionnant. Il s'arrête fréquemment, se contentant d'observer les alentours alors que le peu de gens qu'il croise doivent le prendre pour un aliéné. Puis, sans s'en rendre compte, il emprunte un sentier plus en retrait, sans doute pour les gens expérimentés qui connaissent bien l'endroit. Après un instant, Haruto réalise que le sentier est de plus en plus étroit et qu'il ne croise plus une seule personne. La panique s'emparre de lui. Il est perdu. C'est à ce moment qu'il aperçoit une silhouette. Sans réfléchir, il s'élance vers celle-ci pour demander son chemin et, lorsqu'il est assez près pour voir qu'il s'agit d'un jeune homme au visage d'ange, son pied percute une racine, ou une roche, et il se retrouve à genoux à moins d'un mètre de lui. Une plainte s'échappe de ses lèvres, un mélange de douleur, d'embarras et de surprise.
Même si je suis à Kyoto depuis de nombreux mois, c’est la première fois que je prends le temps de visiter la forêt de bambous d’Arashiyama. D’habitude c’est plein de touriste mais on dirait que j’ai bien choisi mon jour car il n’y a pas grand monde. Il faut dire qu’après avoir passé les cinq cents mètres de forêt de bambou, le reste n’intéresse plus grand monde. Une chance pour moi qui suis venu chercher un peu de calme ici. D’ailleurs je compte bien visiter les environs et certainement faire un saut au parc des singes d’Iwatayama.
Perdu dans mes pensées et occupé à réfléchir à mon programme de la journée, je ne remarque pas le jeune homme qui court vers moi. En réalité je ne me rends compte de sa présence qu’en entendant sa plainte lorsqu’il se casse la figure. Sur le moment, je peine à retenir un sourire amusé avant de réaliser qu’il s’est peut-être fait mal.
Sans plus attendre, je me dépêche de le rejoindre et m’accroupis à ses côtés avant de lui demander : « Est-ce que ça va ? » On a l’air d’avoir le même âge alors je décide d’être un peu familier avec lui, en espérant que ça ne l’offusque par trop. Au Japon, ils sont tellement pointilleux sur les règles de politesse que je me perds par moment. « Tu t’es fait mal ? » Je dépose mon sac à dos à mes pieds, prêt à l’ouvrir pour en sortir la petite trousse à pharmacie que j’emporte toujours avec moi lorsque je sors toute la journée. Il n’y a pas grand-chose dessus, juste du désinfectant et quelques pansements. J’ai tendance à être un peu casse-cou alors c’est le minimum à avoir sur moi.
Heureusement, Haru ne s'était pas trop blessé. Il était atterri sur les genoux et les mains et n'avait que quelques erraflures, tout au plus. Ça ne l'empêchait pourtant pas de grimacer de douleur, lui qui ne s'était que très peu blessé sans sa vie. Il ne prenait pas beaucoup de risque et restait presque toujours chez lui alors ses principales blessures avaient eu lieu lorsqu'il pratiquait la danse, soit un mouvement trop rapide, un pied foulé, rien de bien grave.
Le jeune homme qu'il avait aperçu met fin à la distance qui les séparait en venant s'assurer de son état et Haru relève les yeux vers ce dernier, ouvrant la bouche avant de la refermer. C'est quoi cet accent? Il ne le reconnait pas, n'ayant pas côtoyé assez d'étrangers pour faire la distinction. Même son père avait un accent coréen qui le laissait complètement différent. D'ailleurs, ce jeune homme n'avait-il pas des airs coréens? Haruto l'observe longuement, détaillant chaque détails qui constituaient son visage, sa peau parfaite, ses yeux lumineux, ses cheveux soyeux, ses lèvres... Et cette voix qui sortait de ces lèvres?
Désolé.
Il ne sait même pas pour quelle raison il prononce ce mot. Il ne parvient pas à réfléchir correctement. Évidemment, il devait se retrouver dans cette situation embarrassante devant l'un des premiers êtres humains à lui couper le souffle de cette façon.
Retrouvant une partie de ses esprits, Haruto se redresse légèrement pour s'asseoir et ne plus se retrouver à genoux, essuyant ses mains sales sur son pantalon en grimaçant. Elles brûlaient et il n'osait surtout pas regarder l'état de ses genoux.
Ça va c'est rien.
Il doit être convaincant avec les larmes qui chauffaient ses yeux. Mais hors de question de faire le gamin devant lui, le peu d'ego qu'il possèdait se dévoilait complètement à cet instant.
Il s’excuse et j’avoue que je ne sais pas pourquoi. Est-ce un truc que font les Japonais dans ce genre de circonstance ? J’ai beau être ici depuis plusieurs mois, je ne suis pas encore familier de tous les uses et coutumes du pays et plus spécifiquement du coin. Alors, comme je ne sais pas quoi répondre, je me contente de lui sourire.
Quand il me dit que ça va, j’acquiesce en ouvrant quand même mon sac pour sortir une petite trousse à pharmacie que je lui montre. « Ok, mais au besoin j’ai de coin désinfecter des petites plaies. Alors si tu as des égratignures ou besoin d’un pansement, n’hésite pas. » Je me demande ce qui l’a fait trébucher et j’espère que ce n’est pas la chaleur. Il a peut-être fait un malaise, alors je décide de m’attarder un peu avec lui. On ne sait jamais. Il pourrait encore tourner de l’œil et j’aurais mauvaise conscience de le laisser comme ça. En plus, ce n’est pas comme si j’étais attendu quelque part. « Au fait, je m’appelle Eric. » Puis je me souviens qu’ici les gens utilisent plutôt les noms de famille. Une habitude que j’ai encore du mal à prendre. « Newman Eric. » On a l’air d’avoir le même âge et je ne connais pas encore beaucoup de monde en ville. Alors je me dis que c’est peut-être l’occasion.
L'inconnu se contente de sourire en entendant ses excuses et Haruto sent son coeur battre encore plus rapidement. Avait-il déjà vu un sourire plus foudroyant que celui-ci? Il ne croit pas. Jamais il n'avait eu ce genre de coup de foudre par le passé. Il faut dire qu'il sortait très peu et qu'il n'avait connu qu'un seul homme pour lequel il avait eu des sentiments. Mais avait-il des sentiments? C'était sans doute trop tôt pour le dire même s'il pouvait affirmer avec conviction que le jeune homme lui plaisait à première vue.
Son regard se pose sur la trousse alors que Haruto ne saurait sans doute même pas se servir de quoi que ce soit. Pour éviter cet embarras, il se contente de lui offrir un sourire démontrant une certaine assurance.
Ça devrait aller.
Il pourra chialer une fois chez lui, à l'abri des regards, et espérer que quelqu'un sera présent pour l'aider. L'inconnu en profite alors pour se présenter et Haruto est ravi de pouvoir mettre un nom sur le visage d'ange. Un nom qui lui confirme qu'il s'agit bel et bien d'un étranger. Si son prénom est assez simple, son nom de famille est plus compliqué et il répète avec maladresse:
No-yu-ma-nu?
Il fronce légèrement les sourcils avant d'ajouter:
Tu n'es pas japonais.
Ses façons sont légèrement impolies selon les standards japonais mais il se rattrape en penchant légèrement la tête avant de se présenter à son tour.
Moi c'est Park Haruto. Mais tu peux m'apeller Haru.
C'est un peu tôt pour instaurer les surnoms mais il avait envie d'entendre le jeune homme prononcer son nom avec familiarité. Juste à y penser, il en avait des frissons.
Comme il me dit que ça devrait aller, je n’insiste pas et range ma trousse de secours dans mon sac. Cela étant réglé, c’est l’heure des présentations et je ne peux pas m’empêcher de sourire en l’entendant prononcer mon nom à la japonaise. On dirait que ça lui donne du mal, peut-être vaudrait-il mieux qu’il m’appelle par mon prénom ? « Non je ne suis pas japonais. » Mais j’aurais bien l’occasion de lui parler de mes origines si ça l’intéresse. De son côté il se présente mais surtout il m’autorise à l’appeler Haru. Je trouve ça gentil à lui, il doit se dire que c’est plus simple pour moi qui ne suis pas encore habitué aux coutumes de son pays. « Enchanté Haru. De ton côté n’hésite pas à m’appeler Eric. Tu es venu tout seul ? Si tu n’attends personne et que tu n’as pas d’autres projets on pourrait terminer la visite ensemble. » Je n’ai rien contre un peu de compagnie, au contraire je ne connais pas encore beaucoup de monde. Pourtant cela fait plusieurs mois que j’habite au Japon mais je trouve les gens moins faciles d’accès ici. « Je ne sais pas jusqu’où tu comptais aller mais de mon côté je pensais traverser Kameyama Park puis rejoindre Arashiyama Monkey. A pied ce n’est pas très loin. » Bien sûr j’ai une bonne foulée mais d’après google map on peut faire ça en une quinzaine de minutes même si je compte prendre mon temps pour apprécier les lieux. Après tout, c’est un peu une sortie touristique pour moi.
Haru se doute que le sourire du jeune homme n'a rien de méchant, même s'il est visiblement amusé par la prononciation de son nom. Il voudrait déjà tout savoir à son sujet mais il ne peut pas accélérer les choses trop rapidement. Même s'il n'était pas doué pour les interactions sociales, il savait qu'un interrogatoire n'était pas la meilleure chose à suivre. Il se permet néanmoins une question.
Tu viens d'où alors?
Il n'était visiblement pas japonais et si Haru avait quelques bases en coréens, son nom n'avait rien de familier. Haru lui retourne son sourire lorsqu'il accepte de se faire apeller Eric, tout simplement, ce qui facilitera déjà une certaine connexion entre eux. Il acquiesce à sa question en repoussant quelques mèches de ses cheveux qui s'étaient égarés sur son visage suite à sa chute.
Je suis seul et pour être honnête, je ne suis pas très familier avec les lieux...
On lui avait pourtant assuré qu'il s'agissait d'un sentier facile pour les débutants mais le niveau de Haru et sa débrouillardise sont aussi nuls l'un que l'autre. Un nouvel éclat apparaît dans son regard lorsque Eric l'invite à lui tenir compagnie. Il croit rêvé mais pourtant, son rêve tourne rapidement au cauchemar lorsqu'il mentionne Arashiyama. C'est bien le dernier endroit où Haruto désire mettre les pieds. Les animaux ne sont pas sa tasse de thé et les singes l'effraient particulièrement avec leurs airs presque trop humains. Son sourire se crispe légèrement sur son visage.
Je n'ai pas de but précis, je suis venu en simple observateur mais... Pourquoi pas?
Il risquait de regretter rapidement cette décision.
Quand il me demande d’où je viens, je me contente de sourire avant de lui répondre : « Je suis Australien. » Bien sûr je pourrais préciser que je suis Australien mais d’origine coréenne mais je crois que ça se voit, non ? Et puis je suis fier de mon pays. La Corée du Sud, je ne l’ai visitée qu’une fois, il y a longtemps et j’étais si jeune que j’en garde peu de souvenir. D’ailleurs le fait que je porte un nom de famille occidental prouve que ma famille est ancrée ailleurs depuis bien longtemps.
Je ne sais pas trop pourquoi mais savoir qu’il est seul et sans projet pour le reste de sa journée, ça me fait plaisir. Peut-être parce que j’espère secrètement qu’il m’accompagnera dans mon exploration des lieux ? C’est toujours plus amusant de le faire à deux que seul et malheureusement ma sœur vit à Kyoto depuis trop longtemps pour aimer se prêter à ce genre de jeu touristique. Et puis je crois qu’elle arrive à l’âge où trainer avec son grand-frère, ça ne la branche plus vraiment. Je la soupçonne de se chercher un petit-ami et d’avoir peur de ne pas en trouver un en étant en ma compagnie. Elle a raison car il est hors de question que je laisse un mec s’approcher d’elle.
Bref, Haru ayant accepté mon invitation, nous nous redressons et je le guide vers Kameyama park, nous éloignant ainsi de la forêt de bambou. Le paysage est très beau et on est loin de ce que j’ai l’habitude de voir en Australie. Même si je suis au Japon depuis plusieurs mois, j’arrive encore à apprécier sa beauté. « Et toi Haru, tu es de Kyoto ou tu es là pour tes études ou ton travail ? »
Australien? Haru écarquille les yeux, impressionné par l'information. Ça explique son nom si étranger et pourtant, il a des airs plus familiers, de type coréen. Haruto lui même avait des origines métisses alors c'était peut-être le cas de sa nouvelle connaissance?
Alors tu parles australien?
Visiblement, il aurait mieux fait d'écouter ses cours au lycée pour éviter d'avoir l'air si stupide.
Ayant accepté d'accompagné Éric, Haru se redresse, grimaçant légèrement en dépliant ses genoux qui avaient subit l'impact de sa chute. Qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour le plus joli minois qu'il avait croisé jusqu'à présent. Ils marchent un moment en silence et le japonais regrette aussitôt, réalisant que le parc n'est pas aussi proche qu'il l'aurait cru. Normalement, il aurait essayé de se concentrer sur le paysages et les couleurs pour chercher l'inspiration mais, son regard se posait plutôt sur le jeune homme qu'il accompagnait. Sur ses cheveux, le teint de sa peau et même ses mains. Ce ne sont certainement pas des paysages qu'il allait peindre une fois enfermé à nouveau chez lui. Perdu dans sa contemplation, il sursaute légèrement en entendant la voix toujours aussi exquise de Eric.
Je suis d'ici, avec ma famille.
Il avance un peu plus vite pour rattraper le jeune homme qui, malgré sa taille modeste, marche beaucoup plus rapidement que Haru.
Et toi? Tu es seulement en voyage?
On peut entendre la déception dans sa voix, comme s'il craignait la réponse de Eric. Au même moment, un cri se fait entendre. Il s'agit sans doute de l'un des singes mais, instinctivement, Haru fait un bond vers l'autre jeune homme et l'aggripe par les épaules, son regard cherchant avec nervosité la provenance du bruit.
Je me retiens de rire lorsqu’il me demande si je parle australien. C’est la première fois qu’on me la sort celle-ci mais peut-être pense-t-il qu’en Australie, comme en Nouvelle-Zélande, une langue autochtone a été officialisée ? « Je ne parle qu’anglais et je me débrouille en japonais. » Comme il peut l’entendre. Mon parlé n’est peut-être pas parfait mais je pense m’exprimer de manière compréhensible, non ? Au besoin, j’imagine qu’il me corrigera si jamais je venais à dire une bêtise.
Nous continuons notre promenade et j’apprends qu’Haru est originaire de Kyoto. Je me demande s’il a déjà participé au jeu. Je suis sûr qu’il en a au moins entendu parler. Ça a fait le tour du monde ! Mais je n’ose pas le questionner à ce sujet. En plus je n’ai pas de garanti qu’il me dira la vérité. Peut-être que les joueurs n’ont pas le droit de parler de leur expérience, alors pour le moment, je laisse Némésis de côté. Ce n’est de toute façon pas un sujet de conversation très sympathique.
Quand Haru me questionne, je décide de lui répondre en toute sincérité en occultant bien entendu mon intérêt pour le jeu. « Je suis venu rejoindre ma petite sœur. Elle a décidé de poursuivre ses études au Japon et ça m’a semblé une bonne idée de m’installer quelques temps ici. Je crois que ça a rassuré nos parents de nous savoir ensemble, même si nous vivons chacun de notre côté. Et toi ? Tu as des frères ou des sœurs ? » Avant qu’il ne puisse me répondre, il sursaute au cri d’un singe et m’attrape par l’épaule. D’abord surpris, je ne tarde pas à le rassurer en lui disant : « Ne t’en fait pas, c’est certainement le cri d’un des singes du parc. Tu veux qu’on aille les voir ? » Quoi qu’à sa tête, je ne suis pas certain que ce soit son truc. Est-ce qu’il en aurait peur ? Si c’est le cas, je n’insisterais pas. J’aurais bien l’occasion de revenir les voir plus tard.
Oh, l'anglais. Haru affiche un faible sourire en acquiesçant, réalisant qu'il avait fausse route. Ça explique son nom, bien sûr. Pour sa part, il comprenait quelques mots en anglais mais sans plus. Il faut dire que les japonais n'y étaient pas exposés si souvent et le jeune homme n'avait jamais eu d'intérêt pour les langues. Ça ne l'empêchait pas d'être impressionné puisque Eric se débrouillait également très bien en japonais. Il n'avait qu'un accent qui, pour sa part, était particulièrement charmant.
Ton japonais est excellent.
Ils continuent leur promenade, Haru se permettant de le questionner sur la raison de sa présence à Kyoto. Évidemment, l'idée qu'il soit là pour le jeu ne lui avait pas effleuré l'esprit parce que selon lui, il fallait être complètement fou pour venir dans cette ville dans le but d'y participer. Pour sa part, il espérait pouvoir s'en échapper sans avoir à faire quoi que ce soit mais encore une fois, il se montrait sans doute trop naïf. De toute façon, comme Eric lui mentionne, il est là pour sa soeur ce qu'il trouve aussi charmant que son accent. Il ne connait pas ce genre de relation, étant enfant unique, et n'a d'attachement que pour sa mère mais si c'est la même chose entre l'étranger et sa soeur, il peut comprendre. Haru s'apprête à lui répondre lorsqu'il entend un cri perçant qui le fait sursauter vivement. Il devrait pourtant se douter qu'il s'agit des singes mais cette perspective ne le rassure pas davantage.
Euh... Si tu en as envie...
Après tout, ils étaient venu jusqu'ici parce que Eric avait envie de venir les voir. Il ne voulait pas être celui qui entrave ses plans. Il retire lentement ses mains de sur son épaule.
On ne les approchera pas? Enfin... Ils peuvent être dangereux alors il vaut mieux garder ses distances.
Son compliment me fait sourire. Je ne sais pas si on peut vraiment dire que mon japonais est excellent mais je me débrouille même si je suis certain d’être parfois impoli sans le vouloir. Mais j’imagine qu’on pardonne toujours ce genre de faute de langage à un étranger ? En tout cas, tant que nous parvenons à communiquer, c’est l’essentiel.
J’ai l’impression qu’aller voir les singes ne l’enchante pas vraiment mais en bon japonais trop poli pour me le dire franchement, Haru me renvoie la balle. Si je m’écoutais, je me précipiterais pour les voir mais suis-je assez égoïste pour ne pas tenir compte de ce que je vois ? On se connait à peine mais il n’est pas difficile de saisir le malaise qui transparait sur son visage. « Ne t’en fait pas, apparemment ils sont habitués aux hommes. J’ai vu des photos et ils ont l’air d’être en liberté. » Je fronce soudain les sourcils en m’arrêtant pour mieux le dévisager. « Tu es sûr que ça va ? Tu es tout pâle. Tu veux qu’on mange quelque chose avant ? » Après tout, s’il est tombé tout à l’heure, ce n’était peut-être pas par hasard. Peut-être fait-il de l’hypoglycémie ou quelque chose comme ça ? Je regarde autour de moi, cherchant un distributeur ou un stand de nourriture ou de boisson. Bref, quelque chose qui nous fera prendre une pause et qui l’aidera à retrouver des couleurs.
Haru en avait entendu parlé de cette forêt. Après tout, il était du coin. Il ne s'était pourtant jamais montré assez curieux pour venir les voir, préférant de loin rester dans le confort de sa maison. Bien sûr, il avait entendu dire que ces singes étaient inoffensifs mais il avait également eu vent d'histoires moins rassurantes de singes qui s'en était pris à des touristes et qui en avaient même blessé quelques un au passage. Bon, l'histoire ne racontait pas ce que ces personnes avaient fait pour susciter une telle réaction de la part des animaux mais Haruto n'était pas un expert et préférait garder ses distances en restant dans la civilisation.
Ok...
Il continue d'avancer en s'assurant de rester près de Eric qui, pour sa part, ne semble pas craindre une attaque surprise. Il semble d'ailleurs remarquer l'inconfort de Haru dont le visage a certainement changé de couleur sans qu'il ne le réalise. Instinctivement, il pose une main sur sa joue, comme si ça pouvait lui confirmer la couleur de son teint et secoue légèrement la tête.
Je peux te prendre en photo? Dans ce décor? Et ensuite, pour te remercier, laisses-moi t'inviter à manger quelque chose.
Tout en parlant, il retire son sac de sur son épaule pour retirer son appareil photo. Il n'était pas un photographe extraordinaire mais capturer certaines scènes ou paysages - les rares fois où il sortait - l'aidait à s'inspirer pour de futures toiles. Et Il avait envie d'immortaliser Eric. C'était une sorte de rentre dedans qu'il lui faisait mais tout en subtilité. Du moins, il l'espérait.
Il est pâle mais m’assure que tout va bien. S’il le dit mais ça ne m’empêchera pas de le garder à l’œil, au cas où il ferait soudainement un malaise. Finalement c’est une bonne chose qu’il m’accompagne dans ma promenade, au moins s’il se sent mal, il ne sera pas seul. Et puis soudain, il me fait une étrange proposition à laquelle je ne sais pas quoi répondre sur le moment, même si après quelques secondes de silence je lui réponds maladroitement : « Heu… oui si tu veux. » Je n’ai pas vraiment l’habitude de poser et sur le moment je ne sais pas très bien pourquoi il veut me photographier mais en voyant son appareille, je me dis que ça doit être soit son métier, soit sa passion. Immédiatement je me détends un peu et lui adresse même un sourire bien qu’il soit encore un peu crispé. « C’est ce que tu fais dans la vie ? Tu es photographe ? » Après tout, nous n’avons pas encore parlé de nos occupations, ni de ce que nous faisions dans la vie et je dois avouer que cette histoire de photo m’intrigue un peu. « Tu sais, je ne suis pas très photogénique et je ne sais pas poser, ni quoi faire. » Je dois vraiment avoir l’air crispé et je ne suis pas certain que le résultat soit très beau à regarder. Alors pour vaincre ma gêne, je m’essaie à un trait d’humour : « Mais il parait que les artistes plaisent beaucoup. Tu dois avoir du succès. »
Évidemment, la requête de Haruto déstabilise Eric qui accepte néanmoins de se prêter a jouer. C'est la première fois que le jeune homme ose faire une telle demande à un inconnu, lui qui se contenre généralement de photographier des paysages à la recherche d'inspiration. Ce serait mentir que de dire qu'il utiliserait les clichés du blond uniquement pour inspirer ses toiles. Il espérait pouvoir garder son image près de lui même s'il souhaitait rester en contact avec Eric.
Lui souriant, Haru prépare son appareil en ajustant rapidement les paramètres, secouant la tête pour répondre à sa question.
Non je suis peintre mais la photographie m'aide parfois à m'inspirer.
Il penche légèrement la tête en l'observant un instant, sachant qu'il n'était pas le meilleur pour mettre les gens à l'aise. Il ne voulait cependant pas faire fuire l'australien.
Ne t'occupe pas de moi et continue ta marche. On peut discuter en même temps.
Haru reste derrière Eric pour pouvoir le photographier par moment, légèrement embarrassé par son commentaire qui ne pourrait malheureusement pas être plus loin de la réalité.
Du succès? Moi? Pas du tout... Mais toi, tu... Tu es en couple?
Évidemment, la question n'est pas dénuée d'intérêt et lui brûle les lèvres depuis les premières secondes de leur rencontre.
Il n’est pas photographe mais peintre. Voilà qui m’interpelle ou plutôt qui pique ma curiosité. Je me demande le genre de peinture qu’il réalise. Apparemment il s’inspire de ses photos et l’espace d’un instant je me demande s’il utilisera mon image pour ça. Ça ne me dérange pas vraiment, je suis plutôt flatté même si je n’ai pas l’impression d’être digne d’intérêt pour un artiste. C’est en tout cas la première fois que je retiens l’attention de quelqu’un pour ce genre de chose.
Quand il me dit de continuer de marcher sans me préoccuper de son appareil, je ne peux pas m’empêcher d’esquisser un léger sourire un peu crispé. C’est plus facile à dire qu’à faire mais j’imagine qu’en discutant avec lui, je finirais par ne plus y faire attention.
Comme Haru reste un peu en retrait pour prendre des photos, je tourne souvent la tête vers lui tout en le questionnant. D’ailleurs sa réponse quant à son succès me surprend. Il n’a pas de succès ? Vraiment ? Peut-être est-il trop perdu dans son art pour s’en rendre compte. En tout cas en Australie il aurait beaucoup plu, c’est certain.
Il me retourne finalement la question, un peu à sa manière et je glisse une main dans mes cheveux, embarrassé à l’idée d’évoquer ma situation quelque peu complexe. D’un autre côté, c’est moi qui ai abordé le sujet en premier. Alors après avoir poussé un court soupir, je lui réponds : « Plus maintenant mais ça reste compliqué. J’étais avec une fille pendant près de trois ans et on a rompu il y a quelques mois. Elle vit en Australie, sauf qu’à cause de notre travail réceptif, on est amené à se côtoyer, même à distance. » Puis réalisant que je ne lui ai pas expliqué ce que je fais, je m’empresse d’ajouter : « Je suis Web Master et elle travaille pour mon plus gros client en Australie. Et bien sûr, c’est elle mon interlocutrice. » Voilà comment on peut résumer les choses sans entrer dans les détails. D’ailleurs je ne le réalise pas encore mais nous sommes à deux pas du parc à singe.
Haru ne s'était jamais intéressé aux portraits. Les personnages qui se trouvaient sur ses peintures étaient généralement en arrière plan et ne possédaient aucun trait précis. C'était la toute première que quelqu'un l'interpellait de la façon dont le faisait Eric et il avait envie de s'en inspirer et d'en garder à la fois un souvenir. Il n'avait pas réffléchit au fait que sa demande puisse rendre le jeune homme inconfortable. Encore une fois, Haruto n'avait pas l'habitude des interactions et pouvaient parfois se montrer un peu brusque et intrusif sans le réaliser. Il peut cependant voir que l'Australien est inconfortable et il essaie donc de le guider en lui disant de poursuivre sa marche sans se préoccuper de l'appareil qu'il tenait.
Pendant quelques instants, Haru délaisse son appareil pour se concentrer sur la conversation, particulièrement intéressé par la réponse de Eric. Son coeur fait un bond dans sa poitrine lorsque ce dernier admet ne plus être en couple. Il se contracte douloureusement lorsqu'il mentionne une fille avec laquelle il doit malheureusement rester en contact. Il aurait du se douter que le jeune homme n'avait aucune chance d'être intéressé par lui. Haru prend un air sombre, essayant de feigner un intérêt quelconque pour son travail même s'il n'a aucune idée de ce qu'un Web Master peut faire.
Ah je vois.... Trois ans c'est une longue relation...
Surtout s'ils ont à peu près le même âge.
Alors tu es aussi ici pour le travail également? Tu n'as jamais pensé à changer de boulot pour ne plus être en contact avec elle?
C’est lorsqu’il me le dit que je réalise à quel point trois ans de relation c’est long. Surtout à notre âge. Finalement, ça a laissé peu de place pour d’autres types de relation, même si avant elle, j’avais pu me montrer curieux, surtout vis-à-vis des autres garçons. J’ai aussi eu mon lot d’expérience éphémère même si ça n’a jamais été plus loin qu’une nuit.
Un léger rire s’échappe de mes lèvres lorsqu’il me suggère de changer de travail. Il ne peut pas savoir pourquoi ça restera éternellement compliqué, surtout si je ne lui donne pas de détail. On se connait à peine et voilà que je lui raconte déjà ma vie : « C’est compliqué car l’entreprise en question appartient à mon grand-père. Être une sorte de sous-traitant pour lui, c’était un compromis qui me permettait de ne pas être obligé de travailler directement dans son entreprise. Mais maintenant que je vis ici, je vais avoir une clientèle différente et qui sait ? Si ça marche bien je pourrais déléguer ce contrat à un autre informaticien. » Je n’y avais pas vraiment pensé. Après tout ce n’est pas pour cette raison que je suis ici. Ce n’était pas un exile. Ma venue au Japon était essentiellement motivée par le jeu. D’ailleurs il me tarde de le commencer. « Et toi ? Tu es en couple ? Peut-être intéressé par quelqu’un ? » Maintenant que je lui ai parlé de ma vie en détail, ou presque, je me sens déjà plus proche de lui. Suffisamment pour le taquiner un peu même si je suis persuadé qu’un gars comme lui doit forcément plaire. Peut-être parce qu’il est artiste. Ça plait beaucoup aux filles en Australie alors je présume, peut-être à tort, qu’ici c’est pareil. En tout cas pour le moment le courant à l’air de bien passé entre nous. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de me faire des amis ici alors forcément, je suis content d’être tombé sur quelqu’un comme lui.
La façon de pensée de Haruto est simpliste et Eric ne tarde pas à le lui faire remarquer en expliquant les raisons pour lesquelles il ne peut pas quitter son travail ce qui le force ainsi à travailler avec son acienne copine. Il n'avait lui-même jamais entretenu l'espoir de faire quelque chose d'autre de sa vie que de peindre ou danser ce qui ne suffisait à pa à ses besoins seuls. Heureusement, ses parents acceptaient encore de le garder à la maison, au plus grand désespoir de son père. Sa mère, un peu plus protectrice, essaie de l'aider à voler de ses propres ailes mais son anxiété sociale et sa complète dépendance à son confort ne l'aident pas. Il acquiesce donc aux paroles de Eric, incapable de comprendre sa réalité.
J'espère que ça fonctionnera pour toi. Ça doit être terrible de travailler avec un ex...
Il ne pouvait que s'imaginer. Lui-même n'avait connu qu'une seule personne et il n'aurait sans doute pas supporté de le côtoyer encore tous les jours s'il continuait de suivre les cours de sa mère. La question de Eric le ramène justement à cette vieille histoire et lui fait réaliser à quel point il est seul ce qui, étrangement, le fait sourire.
Je ne suis pas en couple.
Il hésite un instant à poursuivre, jouant avec son appareil photo. Il ne pouvait tout de même lui révéler qu'il était intéressé par lui alors qu'ils venaient tout juste de se rencontrer. Il hausse finalement les épaules, incapable de regarder Eric.
Ça fait longtemps que je me suis pas intéressé à qui que ce soit mais... Peut-être que je le suis, maintenant.
Je ne sais pas si le mot terrible convient à ma situation, mais il est clair que travailler avec son ex, ce n’est pas simple. Surtout que mes parents et mes grands-parents espèrent que nous nous remettions ensemble. Et moi ? En ai-je envie ? Non. Je sais très bien que ça ne marchera pas et être si loin d’elle a le mérite de m’aider à ne pas faiblir car de son côté, je la sens ouverte à la question.
De son côté, Haru m’apprend qu’il est célibataire, mais il ajoute quelque chose qui fait naitre un sourire sur mes lèvres. Apparemment il a quelqu’un en vu et même si nous venons à peine de nous rencontrer, son histoire m’intéresse. Peut-être parce que je n’ai pas vraiment d’amis ici et que le courant passe plutôt bien entre nous ? Certainement. « Vraiment ? Tu veux en parler ? » Car je ne connais probablement pas cette personne. « Je ne sais pas si je serais de bon conseil. Je suis étranger et ici, les gens ne réagissent pas toujours comme je l’imagine. » Surtout les filles. J’ai pu m’en rendre compte en prenant un verre à l’occasion. Tout en discutant avec Haruto, nous nous rapprochons du parc où son censé vagabonder les singes et en les apercevant je m’arrête subitement et en pointe un du doigt tout en m’exclamant : « Regarde Haruto ! Il y en a un juste là ! » Nous sommes encore loin mais je sens mon cœur battre d’excitation dans ma poitrine alors que je n’ai qu’une envie, m’en rapprocher le plus possible, en espérant qu’ils ne soient pas trop farouches. Peut-être qu’ils se montreront même curieux. Après tout, ils doivent être habitué aux humains puisqu’ils vivent ici quasi en liberté, ce qui est une vraie chance pour nous. D’ailleurs je suis si emballé que je ne remarque pas l’inconfort de mon nouvel ami.
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