A force de jouer avec le destin, Yûji avait réussi à l’attirer vers lui. C’était comme ça que le matin où Mitsue et lui avaient planifié leur départ de Kyoto, trois jours après avoir atterri dans la capitale, la réception lui fit parvenir un pli à son nom. Il n’avait donné les coordonnées de son logement temporaire à personne, il savait donc déjà de quoi il s’agissait avant même d’ouvrir la lettre. Et au vu du regard désolé du membre du personnel de l’hôtel, il avait aussi dû deviner le souci. Entre le sceau assez unique en son genre et le jeu qui faisait le tour des médias, tout le monde savait à quoi s’attendre désormais.

De retour dans leur chambre d’hôtel, la mine assombrie de Yûji avait fait comprendre à Mitsue que leur départ de Kyoto était annulé pour de bon, et qu’ils avaient réussi à se faire attraper par Némésis. Si cela se trouvait, Mitsue allait recevoir sa propre lettre dans les jours qui venaient … Yûji tenta de la convaincre de rentrer à Tokyo sans lui, qu’elle avait bientôt sa rentrée, mais elle était têtue et avait décidé de rester tant qu’ils n’en savaient pas plus. Elle prenait de gros risques, mais elle était aussi assez grande pour savoir ce qu’elle faisait et Yûji n’avait aucune intention de la materner. Si elle voulait risquer sa dernière année d’études, c’était son choix et il n’avait rien à redire dessus.

La journée avait été maussade au possible, il était parti prolonger leur séjour à l’hôtel d’une semaine le temps de voir les choses arriver. Il ne savait pas s’il fallait qu’il se trouve un logement à longue durée, comment ça allait se passer avec son boulot. Autant il pourrait faire les aller-retours aux studios de tournage pour la partie acteur si le staff était compatissant de sa situation, autant pour Chuo, ça allait être coton … Il allait sûrement devoir démissionner, quelle veine.

Mais il n’avait pas encore le temps de réfléchir à tout ça. Il avait les mots de son premier défi qui résonnaient dans sa tête. Le soir-même, il serait « kidnappé » par les organisateurs du jeu et il atterrirait avec un parfait inconnu à la nuit tombée dans un village campagnard, avec aucun moyen de communiquer, laissant Mitsue seule ici jusqu’à son retour. Ca l’angoissait follement, mais elle lui avait promis qu’elle ne tenterait rien d’imprudent pendant cette absence forcée.

C’est ainsi que, d’humeur massacrante, Yûji se retrouva à Ohara, aux alentours de 19H. Les vitres teintés l’avaient empêché de se repérer, il avait juste une vague idée de la durée du trajet. L’autre candidat qui serait sa némésis avait sûrement été emmené par une autre voiture. Et ils venaient tous deux de se faire déposer. Quelques brèves instructions sur leur situation et ils furent abandonnés là. Yûji qui n’aimait pas sociabiliser, grinçait des dents à l’idée de devoir passer peut-être deux jours avec un type dont il ne savait rien, qui avait l’air plus jeune que lui et vu sa dégaine, loin d’avoir les mêmes centres d’intérêt que lui. Mais bon, ne pas se fier aux apparences.

« Je suis Yûji. »

Il n’avait même pas fait l’effort de se présenter décemment, et avait par prudence décidé de taire son nom de famille pour le moment. A quoi bon … Mais il se méfiait vraiment de ce jeu sordide. Son cerveau était déjà en ébullition pour observer les alentours et tenter de trouver une idée … L’automne se rapprochait, il commençait à faire frais et il n’avait qu’une petite veste.

« Rentrons au plus vite, si tu veux bien. »

Yûji était clairement l’aîné des deux, il pouvait donc se permettre de le tutoyer.