Il était déjà venu ici. En même temps avec un père dans le tourisme, ne pas foutre les pieds ici, c'était compliqué … Mais le bord, c'était bien. L'eau pouvait être très belle … de loin.  Au final, Gun-Min se foutait bien de sa Némésis, apparemment, c'était une blonde, européenne ? Américaine ? Peu importe … Son plus grand problème, ce n'était pas elle, pas elle du tout là … Dire que sa terrible épreuve, c'était ce que tout un tas de touriste ou de vacanciers auraient adorés... Se taper une jolie petite activité sur le lac. Il l''avait mauvaise . Il savait pourtant que ça ne serait pas que rose et tout mignon ce jeu , s'il s'y était intéressé , c'était justement pour ça … Mais aller dans l'eau ? Dès le début ? Un soufflement à la limite du rire nerveux lui échappa. Si ça, c'était le début, il ne savait pas ce que ce jeu pourrait lui apporter de pire ensuite.... Quoi que la mer était encore plus effrayante qu'un lac en soit .. Mais …

Gun-Min secoua la tête, essayant de se reprendre. De se tenir à quelque chose d'autre que l'étendue bleue devant lui. Il inspira à nouveau avant de se tourner vers la blonde. « Le kayak » Lâcha t'il, sur un ton direct. Limite autoritaire.  « Aucune chance que je monte debout sur une de ses planches ... » Il ne comptait pas s'expliquer d'avantage, et décider ça lui donnait au moins la sensation d'avoir le contrôle. Aucune chance qu'il risque encore plus de tomber à l'eau … Même si le kayak lui donnerait sûrement la sensation de s'asseoir dans un cercueil flottant , les chances de chute étaient bien moindre. Il en était persuadé et il ne lâcherait pas le morceau ! C'était à elle de s'adapter à lui, pas l'inverse ! Quoi qu'elle en pense d’ailleurs

C'était quand même ironique quand même, si ça avait été quelqu'un d'autre, ça aurait été un bon programme … Une journée à se baigner et profiter du lac avec une jolie fille. Ça aurait du plaire à n’importe qui. Mais clairement pas à lui. Parce qu'il n'aimait pas l'eau et qu'il avait conscience de plusieurs choses , à commencer par le principe, il n'était pas fait pour s'entendre avec cette fille … Et puis ça aussi, a quelques exceptions près, il avait du mal avec les femmes... Non, par timidité, juste … Comme ça .  Son regard se posa à nouveau sur le lac avec une grimace … « Je crois que j'aurais encore préféré qu'ils nous fassent pécher » La bonne blague, il aurait trouvé ça chiant et toucher les poissons non merci, mais ça lui paraissait toujours moins pire que de devoir réellement aller dans l'eau... Puis son regard se posa à nouveau sur la blonde. « Dis moi au moins que tu parles japonais ... » C'était dit de manière un peu méprisante, comme s'il la critiquait par sa simple présence.... Sacrément hypocrite vu comment lui se serait vexé face à une tel question …

La raison pour laquelle j’étais venue à Kyoto quelques semaines plutôt venait de me tomber dessus comme une massue : je venais de recevoir une invitation au jeu de Némésis à la sharehouse dans laquelle je logeais pour le moment. Il s’agissait d’une carte de pique, le numéro 2. Je ne connaissais pas grand-chose sur les rouages du jeu, je savais juste que le risque était la perte de mémoire. Ainsi, la première chose que je me demandai était si le numéro de carte avait une signification ou non, et idem pour la couleur de celle-ci. Tout le monde recevait-il la même ? Je n’en avais aucune idée puisque je n’avais encore rencontré personne qui participait au jeu. Enfin disons que je n’avais pas spécialement envie d’aborder les gens en leur demandant s’ils jouaient, je trouvais ça un peu intrusif.

Mon premier défi me paraissait tellement simple ! Passer une journée au bord du lac Biwa, à m’éclater à faire de la planche à voile ou du kayak. C’était à se demander où était la difficulté. C’est là que je me souvins que je n’étais pas seule et qu’on m’avait attribué une némésis, quelqu’un avec qui j’avais peu de chances de m’entendre. Au vu de son nom, il était certainement coréen. J’espérais qu’il parle bien anglais car je ne parlais pas un traitre mot de coréen ! Si ce défi me semblait si simple, c’était certainement que ça ne le serait pas pour ce type. Espérons au moins qu’il soit coopératif …

Le jour du défi, les fameux assistants de Némésis mentionnés dans l’invitation s’étaient pointé à ma sharehouse. Les informateurs de cet homme de l’ombre devaient vraiment tout savoir pour connaître les logements temporaires des touristes ou des gens de passage ! Ca me bluffait et me foutait la trouille en même temps.
Nous avions fait la route en voiture alors que j’avais lu que le lac Biwa était vraiment très proche en train de Kyoto. J’en profitai pour regarder le paysage par la vitre en essayant d’imaginer comment serait mon futur partenaire de jeu.

J’étais désormais sur place, et on venait de nous lâcher au même endroit, avant de nous lâcher sans plus de cérémonie. Ils allaient sûrement rester dans un coin pour nous surveiller et vérifier qu’on réalisait bien le défi dans les termes, mais je m’en foutais un peu sur le moment. La seule chose que nous savions, c’était qu’il fallait choisir une activité parmi le kayak et la planche à voile, et la mener à bien pour réussir. Rien de fou en soi pour moi, mais si le partenaire était réfractaire, cela risquait de compliquer la tâche. Et vu la tronche qu’il tirait, la journée allait être longue !
Avant même que je puisse ouvrir la bouche, le jeune homme lâcha un « Le kayak », avant de préciser qu’il ne monterait jamais sur une planche à voile.

Il était sérieux lui à prendre les décisions tout seul sans même me laisser le temps de m’exprimer ? Purée, je détestais ce genre d’attitude, ça me hérissait déjà le poil. Son ton autoritaire eut le don de me foutre en rogne en dix secondes chrono. Puis le kayak, sans rire s’il avait peur de l’eau ce n’était pas le mieux, on était rempli de flotte en deux temps trois mouvements et en plus il allait devoir pagayer en synchro avec moi pour faire avancer le canot … Parfait quoi. Au moins si on choisissait la planche je pourrais me débrouiller et il attendrait sagement assis … Ouais, ce défi allait mal se passer, j’avais un mauvais pressentiment.

J’allais ouvrir la bouche pour rétorquer mais il enchaîna en ricanant sur le fait qu’il aurait presque préféré devoir pêcher. Et puis quoi encore … Et il conclut sur un « j’espère que tu parles japonais » tellement condescendant que je ne pus plus retenir ma colère :

« Primo, si on doit faire un défi à deux, on pourrait au moins échanger nos avis et ne pas imposer son choix à l’autre. Deuxio, ok pour le kayak mais t’as intérêt à coopérer parce que je vais pas passer ma journée scotchée à un râleur désagréable. Tertio, je parle japonais, je vis au Japon depuis presque deux ans et je te conseille de lâcher ce ton condescendant très vite. »

Ok, j’étais énervée, c’était évident. Mais qui ne le serait pas ? La différence entre une japonaise et moi c’est qu’elle aurait sûrement grincé des dents, mais aurait encaissé derrière un faux sourire tout en maudissant intérieurement son interlocuteur, là où moi j’avais explosé en direct live. Mais il n’était pas japonais alors les manières hypocrites, je m’en passai avec joie.

« Du coup, le but des défis c’est de nous mettre en difficulté. L’eau c’est ma passion, donc le problème vient sûrement de toi. T’as quoi ? Phobie ? Juste de l’appréhension ? »

J’avais beau être désagréable à l’instant même, je n’étais pas une mauvaise bougre et je ne ferais rien de terrifiant s’il avait une véritable phobie. Par contre si ce n’était pas grand-chose, je n’aurais aucun scrupule à le foutre à l’eau s’il me sortait par les yeux, plus que maintenant.

Déjà rien que cette idée de kayak, c'était un cauchemar … Mais d'une certaine manière, au moins il aurait une surface sous ses pieds, et techniquement, aucune raison de tomber à l'eau … Le lac était relativement calme, et ce n'est pas comme s'ils allaient finit par descendre une cascade … Sauf que l'idée d'aller sur le lac même, ça le mettait mal. Et ça l’empêchait de faire le moindre effort envers la jeune femme. Parce qu'il aurait pu … Après tout, autant s'entendre non ? Pour mieux y arriver. Ça paraissait logique … Sauf que l’agacement contre l’épreuve même avait fait ressortir sa sympathie habituelle …

Surtout que bon, ça n'était même pas une japonaise … Si ça se trouve, on lui avait trouvé une touriste étrangère et il aurait l'air malin. Il soupira malgré lui, essayant de projeter sa colère ailleurs que sur le lac, sur sa peur. Préférant se mettre en colère contre la jeune femme que de montrer autre chose … et elle lui facilita rapidement la tache. Elle parlait japonais, mais ça ne l’empêcha pas de lever les yeux à ses paroles … Primo, deuxio .. rien du tout ouais. Tellement rien du tout que malgré ses paroles, elle avait accepté le kayak .. heureusement parce qu'il n'aurait pas transigé .. Aucune chance.  Gun-Min ne répondit rien, mais le sourire qu'il afficha était doublement condescendant … Bien plus que s'il avait répondu d'ailleurs.

« Ta passion ? » Gun-Min lui lança un regard de travers, ayant du mal à comprendre comment ça pouvait être possible vu son propre ressenti … Mais plus que ça, il était un peu jaloux. Pourquoi elle se retrouvait face à sa passion , elle ? C'était profondément injuste ! « ça te regarde ? On va monter dans un foutu kayak, tu vas prendre ton pieds, et je vais attendre que ça se termine le plus vite possible … c'est tout » reprit le coréen avec un sourire toujours forcé. Mesquin, parce que oui, l'eau le terrifiait, mais ça ne lui plaisait pas de l'avouer … surtout à une parfaite inconnue. « Tu comptes prendre racine ici ... » reprit Gun-Min en lui faisant signe de bouger un peu … Apparemment pas capable de se lancer en premier. Le pire, c'est qu'il aurait pu jouer tout ça différemment, paraître un peu plus mignon et lui demander de faire tout le boulot à sa place … Mais , la peur avait pris le dessus …

Punaise, mais c’est que ce type était vraiment insupportable au possible ! Si j’avais su que je tomberais sur un tel énergumène capable de me faire sortir de mes gonds en cinq minutes chrono, je n’aurais pas autant cherché à participer au défi de Némésis et je serais sagement restée à Tokyo. Quoique non, j’aurais déménagé ailleurs dans tous les cas, besoin de changer d’air après certaines déceptions sentimentales. Mais je n’aurais jamais mis les pieds ici, c’était certain. Quel emmerdeur.

Le pire, c’était qu’il avait gardé le silence après ma longue tirade agacée, affichant un sourire narquois qui me donna envie de lui en coller une bien placée. Mais bon, j’avais déjà haussé la voix et quelques regards surpris s’étaient tournés vers nous, ce n’était pas le moment de se faire remarquer davantage. On était au Japon, et laver son linge sale en public ne faisait pas vraiment partie des moeurs, il valait mieux se faire discrets, surtout avec ma tête d’occidentale. Car si un problème survenait, ce serait forcément sur moi que ça retomberait. Mais sa tête à claques me sortait réellement par les yeux. J’inspirai un grand coup, expirai, et écoutai sa réponse après lui avoir demandé quel était le problème de ce type avec l’eau.

La tronche qu’il tira quand je lui dis que ma passion était l’eau était vraiment incroyable, j’aurais dû le prendre en photo. Mais la suite de sa réponse me rappela que c’était un insupportable énergumène et que j’allais vraiment passer une après-midi pourrie. Bon, clairement, il avait peur de l’eau, même s’il ne répondait pas franchement à ma question, son ton, son expression faciale et le tremblement dans sa voix le trahissaient. Je haussai les épaules :

« Tu crois vraiment que je peux prendre mon pied en faisant du kayak avec un mec tétanisé par l’eau et qui me parle comme à son chien ? T’as de la suite dans les idées, dis donc. »

Je soupirai, agacée puissance mille. Lorsque ce type, dont je ne connaissais même pas l’identité, reprit la parole, j’eus encore plus envie de le frapper.

« Mais t’es sérieux là ? C’est toi qui te traînes et c’est moi qui prends racine ? T’es vraiment insupportable. Je sais même pas comment tu t’appelles, alors je vais te surnommer le relou. »

C’était décidé, je ne ferais pas d’efforts avec ce garnement insupportable. Il allait devoir mettre de l’eau dans son vin s’il voulait que la journée se passe correctement. Fulminant intérieurement, je me dirigeai vers le kayak que le personnel des lieux avait préparé pour nous. Apparemment, tout le staff était au courant que nous participions à un défi de Némésis et l’ensemble serait particulièrement bien encadré. Je me laissai guider par le staff qui nous expliquait les consignes de sécurité sur le lac, nous faisait enfiler les gilets de sauvetage hyper glam’ et autres formalités classiques.