Fin août 2022 - début d'après-midi @Sato Hiroki

Cela faisait à peine quelques jours que j’étais à Kyoto. Je ne connaissais personne, enfin presque personne, puisque j’avais fait une connaissance insolite dans un bar de la ville, un certain Eric Newman, fraîchement arrivé à Kyoto lui aussi. Ce genre de rencontre impromptue me faisait toujours sourire, c’était ce qui rendait la vie si intéressante : l’imprévu.

Et en parlant d’imprévu, le destin semblait s’acharner puisque j’avais reçu un appel d’une personne que je ne me serais jamais attendu avoir au bout du fil : Sato Hiroki, l’oncle et tuteur d’une demoiselle à qui j’avais enseigné l’anglais pendant mon année d’échange universitaire au Japon. Une jeune fille de quelques années ma cadette, très motivée et impliquée. Je venais directement au domicile de son oncle avec qui elle vivait, je n’avais jamais posé de question concernant leur passé familial, même si cela m’avait toujours intriguée. J’avais été très surprise de son appel. Nous n’avions jamais conversé en dehors des modalités de paiement des cours et de l’organisation du planning de la jeune femme.

Aujourd’hui, il semblait en détresse, n’ayant plus de nouvelles d’elle depuis quelques temps alors qu’elle était partie fêter ses 18 ans à Kyoto. Ma première réaction fut de me demander pourquoi cette ville maudite plutôt qu’une autre ? Puis pourquoi ses 18 ans ? Ce n’était pas plus important de fêter ses vingt ans pour une Japonaise ? Bon, elle faisait bien ce qu’elle voulait ceci dit. Mais si dans un autre contexte, j’aurais clamé en riant à ce Sato-san qu’il s’inquiétait pour rien, que c’était juste une ado focalisée sur ses amies, avec ce jeu sordide qui planait au-dessus de nos têtes à tous, il avait de quoi s’inquiéter. Et je n’allais certainement pas lui prétendre le contraire. Mais ce serait surprenant qu’elle ait déjà perdu la mémoire si vite, non ? Peut-être avait-elle reçu une invitation et n’osait pas l’avouer ?

Toujours est-il que Sato était à Kyoto aussi pour la chercher et que je me demandais encore pourquoi c’était moi qu’il avait choisi d’appeler. Ok, on avait gardé contact avec sa nièce et on s’écrivait de temps en temps, elle me suivait sur les réseaux sociaux et on commentait mutuellement nos photos mais c’était à peu près tout, rien de très intime, et je ne savais même pas qu’elle était ici. J’avais donc proposé au jeune homme de se rencontrer dans un café car ce serait plus pratique pour faire le point qu’au téléphone, et il avait accepté. 

J’étais présentement en train de patienter dans un Starbucks en face de la gare, n’ayant pas d’autres adresses connues à suggérer au médecin puisque j’étais fraîchement débarquée ici. J’avais commandé un Frappucino Matcha qui n’était pas de refus avec cette chaleur étouffante typique de l’été japonais, et j’attendais qu’il débarque d’un moment à l’autre. J’aurais reconnu son visage entre mille, me souvenant à l’époque m’être dit qu’il était loin d’être désagréable à regarder. C’était avant de fréquenter Kannon, mais bon, mon avis était inchangé, il restait un bel homme et ça, j’en étais certaine.

Fin août 2022 - début d'après-midi @Taylor Remy

Me voilà tout juste débarqué à Kyôto. Honnêtement, je m’en serais bien passé, avec les rumeurs concernant ce jeu, autant dire que j’aurai préféré éviter de venir dans cette ville mais je n’ai pas le choix. Rika ne m’a toujours pas donné de nouvelles et je commence à sérieusement m’inquiéter. Elle ne peut pas avoir perdu la mémoire aussi vite non? Ca ne fait même pas trois semaines qu’elle est ici! Pourtant je n’arrive pas à la joindre. A moins qu’elle ait peur de m’avouer qu’elle a reçu une invitation pour ce jeu? C’est forcément l’une de ces deux raisons, il n’y a aucune autre raison pour qu’elle me laisse sans nouvelles. On a toujours été proches et je ne pense pas être trop sévère avec elle. Même si je regrette de ne pas avoir insister plus pour qu’elle choisisse une autre ville mais on ne peut pas changer le passé malheureusement, ce qui est fait est fait comme on dit. Maintenant il ne me reste plus qu’à la retrouver en espérant qu’elle ait encore toute ses souvenirs…

Je ne savais pas vraiment vers qui me tourner, je n’ai pas vraiment le numéro de ses amies, donc je ne pouvais même pas essayer de joindre celles avec qui elle est venue. Mon dernier recours, c’est une jeune femme qui était sa tutrice en anglais fut une période. Je savais qu’elles étaient restés en contact même si elles n’étaient pas pour autant très proches. Mais je n’avais pas d’autres possibilités alors j’ai fini par l’appeler. J’ai été surpris d’apprendre qu’elle se trouvait elle même à Kyôto. Surtout au vu de la situation actuelle. Je sais que certains étrangers ou non habitants de Kyôto viennent ici dans l’espoir de recevoir une invitation. Je ne les comprend vraiment pas, qui voudrait participer à un tel jeu? Clairement pas moi en tout cas et j’en suis presque à prier pour que je ne sois pas choisis, que je puisse retrouver ma nièce et rentrer tranquillement à Tokyo. On a finalement convenu de se rencontrer dans un café pour pouvoir en parler plus tranquillement. Je doute qu’elle puisse me donner beaucoup d’infos mais sait-on jamais…

Je finis par atteindre le Starbucks où on s’est donnés rendez-vous et j’entre, cherchant la jeune femme du regard. Je l’aperçois à une table et me dirige aussitôt vers elle.

-Bonjour, merci d’avoir accepté de me voir.

J’espère ne pas abuser de son temps pour rien mais la moindre piste pourrait m’aider. J’espère sincèrement pouvoir retrouver Rika rapidement et rentrer aussitôt à Tokyo sans s’attarder dans cette ville “maudite” par ce jeu!

Je n’avais finalement pas eu à attendre longtemps avant que l’oncle de Rika pointe son nez dans le Starbucks en face de la gare. Pour ma part, ayant peur de me perdre car je venais à peine d’arriver à Kyoto et que mon sens de l’orientation laissait clairement à désirer, j’étais venue en avance. Mais lui était clairement ponctuel, typiquement japonais. Puis je savais qu’il était médecin donc généralement, dans des milieux aussi pointus que celui-ci, on avait tendance à respecter les horaires au pied de la lettre.

J’adressai un sourire discret au jeune homme qui m’avait reconnue. En même temps, je passais difficilement inaperçue avec ma tignasse blonde, qui avait bien repoussé depuis le fameux incident chez le coiffeur qui m’avait permis de rencontrer une amie, Rei, que j’avais malheureusement perdu de vue depuis. Et puis j’étais un peu la seule étrangère du café, difficile pour lui de se tromper.

L’oncle de Rika s’était aussitôt dirigé vers mois, avant de s’installer en face de ma chaise. Il n’avait même pas pris la peine de commander quelque chose, il semblait vraiment troublé.

« Je vous en prie. Vous ne buvez rien, avec cette chaleur ? »

Je pouvais comprendre que le fait d’avoir perdu tout contact avec sa nièce, vu ce qui se tramait dans l’ancienne capitale, pouvait le perturber et l’inquiéter, j’aurais sûrement été dans le même état si un de mes proches avait disparu sans crier gare. Mais il ne fallait pas non plus oublier sa propre santé, n’est-ce pas ?

« Bon, entrons dans le vif du sujet. Quand avez-vous des nouvelles de Rika-chan pour la dernière fois, et que vous disait-elle ? »

Je faisais genre que j’étais comme une détective et que je m’y connaissais, alors que pas du tout. Je voulais cependant aider avec toute ma sincérité et peut-être qu’à deux cerveaux au lieu d’un, on trouverait des indices qu’il n’avait lui-même pas remarqués ? Qui sait. En attendant d’en savoir plus, je sirotai un peu de mon Frappuccino, le plus discrètement possible car l’ambiance du Starbucks était relativement calme.